12
— Vus d’ici, les dégâts ont vraiment l’air considérables, déclara C-3PO en observant la partie ventrale du Faucon Millenium depuis le pied de la rampe d’embarquement.
Han, à quelques mètres de là, le foudroya du regard. Lui, Leia et un mécanicien de la station orbitale de Caluula étaient en train de dresser la liste des réparations nécessaires.
— Quelqu’un t’a demandé quelque chose, Bouton d’Or ?
Le droïde de protocole adopta une posture défensive.
— Non, personne, Capitaine Solo. Je me contentais de remarquer le…
— C-3PO ! l’interrompit Leia. Ça suffit, maintenant !
— Bien entendu, Princesse Leia. Je comprends quand on n’a pas besoin de moi.
— C’est pas demain la veille qu’il comprendra quoi que ce soit, celui-là, maugréa Han.
Cracken Page et les autres officiers se tenaient sur le côté et répondaient aux questions posées par les mécaniciens de Caluula, qui avaient eux-mêmes abandonné toute activité dès que le Faucon s’était posé sur sa plate-forme d’atterrissage.
Le vaisseau était bosselé, carbonisé, perforé.
— Votre appareil est une véritable histoire illustrée de toute cette guerre, dit le mécanicien.
— Vous avez raison, répondit Han en hochant la tête.
Le technicien glissa son index sur un impact dans la partie inférieure du cockpit excentré.
— Celui-là, il a pas dû passer à plus d’une cinquantaine de centimètres du siège du pilote…
Han déglutit péniblement.
— J’ai connu pire…
— Vous n’êtes probablement pas au courant, mais le Faucon a la fâcheuse habitude d’être pris pour cible, lança Leia au mécanicien.
Celui-ci sourit et se frotta les mains pour en chasser la poussière.
— Bon, il en a effectivement pris plein la tête, votre coucou, mais il survivra. Faut juste qu’on réussisse à trouver des pièces détachées.
Han eut l’air soulagé. Il allait entrouvrir la bouche pour remercier le technicien quand un grand humanoïde à la peau violette, portant un uniforme militaire, s’approcha de lui.
— Soyez le bienvenu à bord de la station de Caluula, Capitaine Solo.
Avant même que Han puisse répondre, un officier humain aux cheveux argentés s’approcha à son tour et le salua.
— Capitaine Solo, j’ai servi avec vous à Endor.
Han réfléchit quelques instants.
— Heu… Denev, c’est ça ?
L’homme afficha un large sourire.
— Je suis honoré que vous m’ayez reconnu, Capitaine.
— Tout le plaisir est pour moi.
Leia croisa les bras et dévisagea son époux.
— C’est au moins la dixième personne qui te reconnaît. Qu’est-ce qui se passe, ici ? Une convention de ton fan club ?
— Ha, ha ! Très drôle, dit Han en fronçant les sourcils.
— Non, sans rire, Han. Tu aurais peut-être mieux fait de devenir acteur, plutôt que héros de cette guerre. Imagine un peu tous ces admirateurs que tu aurais, à présent !
Han saisit son menton couturé à pleine main.
— Sérieusement, tu irais dépenser ton bon et bel argent pour voir cette tronche sur un écran géant ?
Leia fit mine de réfléchir à la question.
— Maintenant que tu le dis…
— Capitaine Solo ?
Un officier humain, corpulent mais énergique, arriva à grandes enjambées vers le Faucon.
— Garray, commandeur de la base, dit-il en tendant une main à Han.
Celui-ci salua le nouveau venu et désigna C-3PO et Leia.
— Voici notre droïde et mon épouse, Leia Organa Solo.
Leia lui administra un coup de coude dans les côtes.
— Merci pour la deuxième position, mon chéri, dit-elle entre ses dents en arborant un sourire crispé.
Han se massa le flanc et lança un coup d’œil à Leia.
— Le droïde est, en général, celui qui se tient le mieux ! déclara-t-il avant de présenter Page, Cracken et quelques autres officiers à Garray.
Ce dernier les salua tous d’un hochement de tête.
— Ravi de vous rencontrer, fit-il avant de poser ses yeux gris sur Han. Capitaine Solo, dites-moi que c’est bien Mon Cal qui vous envoie.
— J’aimerais bien, Commandeur, répondit Han en pinçant les lèvres. A dire vrai, nous avons encaissé pas mal de coups lors d’une mission de sauvetage sur Selvaris et Caluula s’est vite avérée comme notre seul salut.
La déception évidente de Garray fut de courte durée.
— Peu importe, nous sommes très contents de vous savoir à bord, avec nous.
Il se tourna vers son assistant, un individu plus corpulent que lui.
— Adjudant-Major ? Veillez à ce que les passagers du Capitaine Solo soient bien soignés et bien nourris.
L’adjudant-major exécuta un vif salut.
— Si vous voulez bien me suivre, messieurs, dit le sous-officier à Cracken et aux autres.
Han garda le silence jusqu’à ce que le groupe soit hors de portée. Puis :
— Quelle est la situation, ici, Commandeur ?
Garray pencha légèrement la tête de côté.
— Venez avec moi, je vais vous l’expliquer.
Il emmena Han, Leia et C-3PO faire le tour du hangar, sous l’éclairage stroboscopique des lampes de soudure à arc. Ils passèrent au milieu de techniciens et de soldats qui semblaient en aussi piètre état que les appareils qu’ils étaient en train de réparer. Les humains semblaient constituer la vaste majorité du personnel de Caluula, mais on trouvait également parmi eux quelques Brigian, Trianii, Bimm, Tammarian, et des représentants d’espèces provenant de planètes des environs de Caluula. La plupart des hommes et des vaisseaux étaient les vibrants témoignages de la sauvagerie de cette guerre qui durait depuis des années. Certains navires avaient été rapiécés avec des éléments si disparates qu’on avait à présent grand mal à les reconnaître.
— Les Yuuzhan Vong ont débarqué il y a environ un mois, déclara Garray. Et les combats n’ont pas cessé depuis. Notre système de défense principal a fini par céder et, depuis un peu plus d’une semaine, nous sommes sous le feu d’un siège constant. Il me paraît évident que les Vong veulent occuper Caluula. Ils ne veulent pas la détruire, sinon ils l’auraient déjà bombardée en déviant une lune de son orbite, ou bien ils l’auraient empoisonnée, comme ils l’ont fait pour d’autres planètes.
— Votre hypothèse d’occupation semble très plausible, intervint Leia. En arrivant, nous avons repéré un de leurs vaisseaux, qui pourrait bien transporter un yammosk.
— L’information est vérifiée, confirma Garray en hochant la tête.
— Cependant, je me demande pourquoi les envahisseurs s’intéressent tellement à Caluula, continua Leia. Je ne suis pas une experte de l’Hégémonie de Tion, mais d’après mes souvenirs l’endroit ne dispose guère des ressources dont les Yuuzhan Vong sont en général très friands.
— Cela ne fait aucun doute, Princesse. Caluula attire surtout les scientifiques en raison de phénomènes naturels qui se produisent de temps en temps à la surface. Nous pouvons juste supposer que les Yuuzhan Vong veulent se servir de Caluula comme d’un tremplin pour envahir l’Hégémonie de Tion et le Secteur des Corporations. Et puis il y a les chantiers de construction navale de Lianna, même s’ils n’ont pas produit grand-chose depuis que Sienar Systèmes en a retiré ses billes.
Garray se mordit la lèvre inférieure et secoua la tête, l’air exaspéré.
— Mais les Vong doivent d’abord franchir notre barrage pour atteindre ces quadrants de la galaxie et, la Force soit louée, ils n’y sont pas encore parvenus.
— S’ils avaient vraiment voulu occuper le reste de l’Hégémonie de Tion, ils auraient déjà concentré leurs efforts sur Lianna, avança Han. Au moins pour une raison. C’est plus proche de la Route de Perlemia, qu’ils contrôlent en partie de Coruscant à Cron…
Il secoua la tête.
— Non, à mon avis, ils ont autre chose en tête. Ils veulent peut-être se servir de Caluula comme d’une répétition en vue d’une attaque sur Mon Calamari.
— Nous y avons pensé, dit Garray. Mais je n’ai pas à vous rappeler que Caluula est assez éloignée des voies spatiales les plus praticables. Mon Calamari est accessible en trois microsauts, sinon, il faut emprunter la Route de Perlemia en passant par Déliait et Lianna. Ce qui prend à peu près autant de temps.
— Alors qu’est-ce que les Yuuzhan Vong veulent sur Caluula ? insista Leia.
Tout en marchant, Garray se tourna vers elle.
— Des prisonniers. Le commandeur Vong du groupe de combat n’en a pas fait mystère.
— Vous l’avez vu ?
— Comme je vous vois, de ses pieds griffus à sa tête tatouée, dit Garray. Impatient à l’idée de se peinturlurer du sang de ses ennemis, pour peu qu’on lui en laisse l’occasion. Il nous a promis une mort honorable et la vie éternelle.
— Une offre bien difficile à refuser, fit Han.
— Personnellement, je réfléchis toujours à la proposition, ricana Garray.
— De quelle planète venez-vous, Commandeur ? demanda Leia.
— Abregado-rae.
— Mince, ça fait une drôle de tirée depuis le Noyau ! s’exclama Han. Pourquoi en êtes-vous parti ?
— Il commençait à pleuvoir des boules de feu Yuuzhan Vong. Un peu trop, à mon goût. A un moment, j’ai senti que je risquais d’en prendre une sur le crâne !
Leia, pensive, hocha la tête.
— Les endroits sûrs se font rares.
Garray soupira d’un air approbateur.
— Et si les Yuuzhan Vong continuent comme ça, il n’y en aura plus un seul. S’ils organisent une attaque massive ici… Eh bien, qui peut prédire comment les choses vont tourner, pas vrai ?
— On peut toujours s’attendre à des surprises, suggéra Han.
— Il existe bien une petite cellule de résistance, à la surface de Caluula. Mais si cette station est détruite, je ne vois pas comment ils pourront tenir tête à une armée d’invasion à grande échelle.
— Parlez-nous de l’état général de la station, dit Leia.
— Vous avez vu nos chasseurs stellaires ? Ils tiennent par des bouts de ficelle. Tout comme nous. Depuis l’arrêt du réseau HoloNet, nos communications avec Mon Cal reposent sur un système de coursiers. Les messages peuvent prendre trois à cinq jours pour parvenir à destination. En fait, nous avons tout juste dépêché un vaisseau quelques heures avant votre arrivée. Le commandement de l’Alliance Galactique n’a malheureusement pas la possibilité de nous affréter du matériel. Nous sommes donc sérieusement à court de nourriture, de munitions, de pièces détachées et de bacta. La plupart des volontaires qui nous ont rejoints sont blessés. Nous avons beaucoup de malades, de mourants…
Garray marqua une pause, son ton se fit lugubre :
— Ça fait quatre ans que je me bats contre les Yuuzhan Vong et j’ai l’impression d’avoir pris un méchant coup de vieux depuis le début de la guerre.
— On en a tous pris un, Commandeur, lui dit Han.
Il voyait bien quel type d’homme il était, épuisé par des années de commandement, lassé d’envoyer ses hommes à une mort certaine. Un homme qui n’avait plus besoin de se prouver à lui-même qu’il était un héros. Un homme qui se contentait à présent de faire son boulot. Et qui avait fini par se détester pour cette raison.
Garray se força cependant à détendre l’atmosphère :
— Mais ne vous inquiétez pas, on va le réparer, votre Faucon, et vous pourrez repartir dans les plus brefs délais.
— On ne tient pas à vous piquer vos hommes, Commandeur, dit Han d’un ton ferme. Ils ont déjà assez de boulot comme ça. Leia et moi allons nous occuper des réparations nous-mêmes.
Il marqua une pause, avant d’ajouter :
— Pour tout vous dire, Garray, si Cracken et les autres n’étaient pas si désespérément attendus sur Mon Calamari, nous resterions ici pour vous filer un coup de main.
Garray lui sourit.
— J’apprécie le geste, Solo. Ça ne fait que confirmer ce que j’entends dire de vous depuis des années.
Il se tourna vers Leia.
— Voudriez-vous, tous deux, me faire l’honneur de partager mon déjeuner ?
— Avec grand plaisir, dit Leia.
Elle se glissa derrière Han et lui chuchota :
— « Ce que j’entends dire de vous depuis des années » ? Un de ces jours, on va finir par t’ériger une statue !
Han fit un geste large pour embrasser le hangar.
— Ce sont tous ces gens qui méritent des statues. Tous.
Ils continuèrent de parler en marchant, rencontrant à intervalles réguliers des gens qui reconnaissaient surtout Han. Et parfois Leia. Caluula paraissait avoir attiré tout ce qu’on comptait de soldats, mercenaires ou bons à rien à mille parsecs à la ronde. Le commandeur Garray les pria de l’excuser, ayant d’urgentes affaires à régler, mais il leur fit promettre de le retrouver comme convenu au mess des officiers.
Ils venaient d’émerger d’un des tubes transparents reliant entre eux les modules de la station quand Han eut l’impression d’entendre une voix familière. L’homme qui venait de parler avait les cheveux noirs et approximativement le même âge que Solo. Il portait une combinaison de vol grise et usagée, serrée à la taille par une large ceinture rouge. De taille moyenne et de forte carrure, il était assis en tailleur sur une caisse de fret, dans une zone à la lumière diffuse où se tenaient également un Bothan à fourrure dorée et un grand Calibop aux ailes repliées derrière lui. Des humains d’allure patibulaire et des guerriers extraterrestres, portant tous la même combinaison grise, entouraient le trio. Ils appartenaient peut-être à un même escadron de chasseurs stellaires, mais ils auraient pu tout aussi bien faire partie d’un gang de criminels écumant les routes de Nar Shaddaa sur leurs swoops.
— Un autre de tes fans, peut-être ? demanda Leia.
Han passa la main dans sa barbe naissante.
— Je connais cette voix, je l’ai déjà entendue quelque part… Mais son visage ne me dit rien.
— Eh bien, va lui demander !
Han hocha la tête et se dirigea vers le groupe de soldats. Chacun d’eux observa son approche avec un mélange d’amusement et de prudence.
— Salut, je suis Han Solo. On se connaît, non ?
L’homme lui adressa un regard désapprobateur, comme pour bien présenter à Solo les cicatrices qui balafraient tout un côté de son visage ridé et basané.
— Pas vraiment, Capitaine, mais on s’est déjà croisés. Je suppose donc que cela signifie que nous ne sommes pas totalement étrangers l’un à l’autre.
Il tendit une main musclée à Han.
— Je m’appelle Hurn.
Han fit appel à ses souvenirs. Il secoua la tête.
— Désolé, ça ne me dit rien. Mais vous êtes sûr qu’on n’a jamais servi ensemble ? Pendant la Rébellion, peut-être ?
Hurn haussa les épaules.
— Vous savez, je fais partie de ces gens dont le visage, à une époque, paraissait familier à tout le monde.
Han se caressa le menton.
— Vous êtes déjà allé sur Dellalt ?
— Non, je ne crois pas.
Leia attendit que Han, elle-même et C-3PO se soient éloignés du groupe avant de demander :
— Qu’est-ce qu’il veut dire par « familier » ? Et à quelle époque ? Avant la Rébellion ou avant qu’il ne soit couvert de cicatrices ?
Han regarda par-dessus son épaule et secoua la tête pour avouer son ignorance. Il voulut dire quelque chose, mais de fracassantes sirènes d’alarme se mirent à retentir. Instantanément, la station sembla céder à un véritable chaos organisé, chacun sachant visiblement où aller et ce qu’il avait à faire. A part Han, Leia et C-3PO, incapables de décider s’ils devaient rejoindre le poste de combat le plus proche ou bien essayer de rester hors du passage.
Surgissant de nulle part, Garray mit rapidement fin à leurs réflexions.
— Les renforts ennemis viennent d’arriver. Un groupe de combat tout entier.
Leia fut stupéfaite.
— Ils ont vraiment envie de capturer Caluula, pour détacher autant de vaisseaux sur place !
Garray acquiesça.
— Nos boucliers devraient leur donner du fil à retordre…
L’adjudant-major arriva en courant pour signaler au commandeur que les détecteurs à longue portée de la station venaient de repérer quelque chose d’inhabituel. Garray emmena tout le monde avec lui vers la console holographique la plus proche. L’adjudant-major pianota sur quelques touches et une image tridimensionnelle se matérialisa. Elle représentait une sorte de colossale limace spatiale, avec une tête en pointe, une énorme poche dorsale et une gueule mesurant bien quatre-vingts mètres de large.
Garray plissa les yeux.
— Nom d’une supernova, qu’est-ce que c’est que ça ?
Leia laissa échapper un soupir troublé.
— Ça, Commandeur, c’est ce que les Yuuzhan Vong appellent un yncha. Ils en ont envoyé un à Duro, qui a pratiquement dévoré la station orbitale.
Garray la regarda, incapable de parler.
Les sirènes beuglèrent de plus belle.
— Commandeur ! cria une enseigne de vaisseau. L’ennemi nous attaque !
Han se tourna vers Leia.
— J’ai comme qui dirait l’impression qu’on est coincés ici pour un bon moment.
— Studieux comme tu l’es, ou au moins comme tu prétends l’être, je suppose que tu dois prendre à cœur ce qu’a dit le Seigneur Suprême quand il a déclaré que plus rien ne devrait entraver la cérémonie sacrificielle, dit le Haut Préfet Drathul à Nom Anor. Surtout en considérant le nombre restreint de suppliciés dont nous disposons.
Ancien préfet du vaisseau-monde Harla, Drathul avait une large figure et d’imposantes arcades sourcilières. Son visage était suffisamment scarifié pour attester de sa dévotion aux dieux, mais pas assez pour que Drathul puisse se considérer comme quelqu’un de séduisant.
Il avait sciemment laissé Nom Anor attendre pendant près d’une demi-journée standard. Le soleil était monté au zénith et le pont dessiné par l’arc-en-ciel permanent scintillait comme un collier de joyaux. Ses appartements privés à la préfecture, battus par les pluies, étaient percés de petites fenêtres qui s’ouvraient sur la Place de la Hiérarchie, au sud de la citadelle, dans un quartier appelé jadis Calocour Heights. Nom Anor se rappelait bien sa première visite à Calocour, lors d’une mission de reconnaissance. A l’époque, la zone du marché grouillait de bonimenteurs et retentissait des échos musicaux des innombrables panneaux publicitaires animés. Des échantillons gratuits de produits venus des quatre coins de la galaxie, flottant sur des chariots à répulseurs et dégageant toutes sortes de parfums exotiques, y étaient mis à la disposition des clients.
— Oui, je prends les paroles du Seigneur Suprême très à cœur, dit Nom Anor, installé sur le petit tapis délicatement tissé en soie de vurruk qu’un des assistants de Drathul lui avait assigné comme siège.
Le Haut Préfet, lui, était assis dans une alcôve garnie de coussins.
— Alors, tu seras certainement intéressé de savoir que j’ai entendu parler d’une coalition d’Humiliés qui auraient l’intention de perturber la cérémonie.
Drathul fixa Nom Anor d’un regard inquisiteur.
— Et je pense que tu es relativement au fait des tactiques de ces hérétiques, non ?
— Je sais effectivement une ou deux choses sur eux…
La réponse amusa Drathul.
— Allons, tu t’accordes bien trop peu de crédit. Se sous-estimer ainsi n’est pas digne de quelqu’un qui est passé du statut de simple exécuteur à celui de préfet de Yuuzhan’tar en si peu de temps. De quelqu’un qui a eu la possibilité, au moins par deux fois, de s’entretenir en audience privée avec le Seigneur Suprême. De quelqu’un qui, oserais-je même dire, a la réputation d’être écouté par Shimrra.
Nom Anor feignit un bref éclat de rire.
— « Ecouté », c’est peut-être un peu exagéré, Haut Préfet.
Drathul étudia son interlocuteur plus intensément.
— Reprenons les faits. Par où commencer ? se demanda-t-il tout haut. N’est-ce point Nom Anor qui a envoyé la prêtresse Elan à une mort certaine ? Nom Anor qui a créé les instables Brigades de Paix ? Nom Anor qui a aidé à planifier le désastreux assaut sur Fondor ? Nom Anor qui a laissé la traîtresse Vergere s’échapper ? Nom Anor qui s’est déguisé en humain, en Durosien, en Givin et je ne sais quoi d’autre encore ? Nom Anor qui a refusé un duel contre un Jeedai et qui a tué ses propres agents avec l’arme d’un infidèle ? Nom Anor qui a poussé le Maître de Guerre Tsavong Lah à se déshonorer à Ebaq Neuf ?
Il marqua une courte de pause.
— Regardez-moi ça… On dirait que ta prothèse de plaeryin n’a qu’une hâte, celle de me cracher tout son poison à la figure !
— Vous vous méprenez, Haut Préfet, dit Nom Anor en posant sa main sur le globe artificiel logé dans son orbite. J’ai juste un grain de sable au coin de l’œil. En fait, vous avez brillamment réussi à me dénigrer. Mais vous oubliez d’ajouter qu’il y a eu de bons côtés à tous ces événements. Sinon…
Il afficha un mince sourire.
— Sinon, comment en serais-je arrivé à porter la tunique verte de ma fonction ?
Drathul laissa éclater sa colère :
— La seule raison qui me laisse tolérer ta présence et ton ascension hiérarchique, c’est que tu te trouvais en compagnie de mon prédécesseur, Yoog Skel, au moment de sa mort. Je sais, au fond de moi, que tu as certainement quelque chose à voir avec son trépas. En fait, s’il n’était pas décédé, je ne serais pas là, assis sur mes coussins, à prendre plaisir à te réprimander.
Nom Anor inclina la tête.
— Je n’existe que pour servir, Haut Préfet.
— Précisément. C’est pourquoi je t’ordonne de mettre fin à cette coalition des Humiliés, d’aller leur faire entendre raison ou bien de les faire exécuter. Je préfère la première option car j’ai le sentiment que les exécutions, à l’heure actuelle, ne feraient qu’attiser leur mouvement. Mais sache que j’ai l’intention de te considérer comme personnellement responsable de toute éventuelle obstruction à la cérémonie. Tout comme Shimrra le fera avec moi. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? Ou bien dois-je appuyer mes propos en t’énumérant ce qui risquerait de t’arriver si tu échouais dans la mission que je te confie ?
— Je ferai de mon mieux, Haut Préfet.
— Tes duperies seront étroitement surveillées, Nom Anor, comme cela a toujours été le cas.
— Je ne dupe personne d’autre que moi-même, Haut Préfet, en imaginant que je suis plus important qu’en réalité.
Nom Anor avait ordonné à ses consuls de lui seller un bissop pour rejoindre la résidence spacieuse attribuée à toute personne de son rang. En plus des avantages liés à sa fonction, il s’était attiré l’envie, la colère et la jalousie de beaucoup, ce qui arrivait souvent à ceux dont l’ascension résultait d’actions dont on ne pouvait révéler la teneur.
Particulièrement dans l’entourage proche de Shimrra, en partie parce que le Seigneur Suprême était versatile, sujet aux contradictions, ballotté par ses émotions ou par ce qui passait pour des révélations divines.
Même le puissant Nas Choka n’était pas immunisé contre les mesquineries. Il avait, d’ailleurs, triplé les effectifs de ses gardes du corps. Nom Anor avait envisagé de faire de même, mais il avait fini par abandonner l’idée. Révéler ses appréhensions à des adversaires potentiels n’apportait que peu d’avantage.
Mais comment dissimuler ces appréhensions aux hérétiques ?
Il avait cru, à tort, que la disparition de Yu’shaa le Prophète affaiblirait le mouvement. Au lieu de cela, Nom Anor avait involontairement fourni un martyr à ses crédules adeptes. La plupart d’entre eux étaient convaincus que Yu’shaa avait été mis à mort sur ordre de Shimrra.
Nom Anor conservait, bien caché dans sa résidence, le grimage Ooglith original qu’il avait porté pour exhorter ses suivants à se soulever contre ce régime ayant fait d’eux des parias. Ce système perpétuant une croyance en des dieux qui avaient délibérément tourné le dos à leurs créatures. Les choses auraient sans aucun doute pris une autre tournure si chaque Humilié avait été accusé de se montrer trop entreprenant ou trop fier. En réalité, personne ne parvenait à expliquer – les modeleurs les premiers – pourquoi les implants crâniens avaient été rejetés. En conséquence, un nombre incalculable d’individus s’étaient retrouvés plongés dans un état de perpétuelle stupeur, se demandant d’où ils venaient, s’ils avaient un jour éprouvé une quelconque fierté ou bien s’ils étaient en train de payer pour les transgressions des autres membres de leurs crèches ou de leurs Domaines. L’élite prétendait éprouver de la sympathie pour eux mais, en réalité, les personnages haut placés se délectaient de voir ainsi leurs adversaires tomber en disgrâce. Oh, comme c’est triste ce qui est arrivé à ce pauvre Consul Shal Tor, lors de la dernière cérémonie, mais je suis bien content que cela ne soit pas tombé sur moi…
Peu de temps auparavant, juste avant de prendre la décision sur Zonama Sekot qui bouleverserait son existence, Nom Anor, rendu furieux par toutes ces inégalités, avait souhaité voir la culture Vong tout entière trembler sur ses bases, il avait voulu que Shimrra soit renversé de son trône de polypes par les membres déchus de la société. Et ses vœux s’étaient presque réalisés. Ce qui aurait pu en résulter ne pouvait clairement se définir. Qu’est-ce qu’une défaite pouvait signifier pour Nom Anor, puisque la plupart des habitants de cette galaxie que les Yuuzhan Vong avaient envahie, à l’exception peut-être des Jedi, n’étaient guère plus évolués que des barbares ?
La fuite, l’emprisonnement, la mise à mort ? Nom Anor ne pouvait se les permettre.
Ce mouvement né, à en croire la rumeur, sur la distante Yavin, ce mouvement soutenu et renforcé par Nom Anor en personne, menaçait à présent de le priver de tout ce qu’il avait réussi à obtenir en choisissant de se jouer de Zonama Sekot dans le seul but de retrouver les bonnes grâces de Shimrra.
Il méditait encore sur la question quand sa monture s’avança pesamment sur la Place du Sacrifice. Des prêtres et des savants, des adeptes et des initiés s’affairaient à préparer la future cérémonie. Il passa devant les conques sous lesquelles travaillaient divers artisans, croisa des Humiliés esseulés, vêtus de haillons, qui lui réclamèrent l’aumône.
Longtemps avant que Nas Choka ne soit promu, le futur Maître de Guerre avait reproché à Nom Anor ses excès de fierté. Il lui avait conseillé de se tourner vers Yun-Shuno, Dieu des Humiliés, pour implorer son pardon.
Bien des années plus tard, Nom Anor en était devenu le prophète.